Je dénonce - Partie 1

Ma vie de maman

Préface.

Je viens de recevoir mon nouveau  »Psychologie ».
Pendant la sieste des enfants, je le feuillette et je tombe sur un article. Il parle d’un sujet d’actualité dont tout le monde a entendu parler.
Le harcèlement sexuel, les attouchements, les agressions sexuelles faites aux femmes.
Je bois les phrases de la journaliste, je me reconnais, m’identifie à ses expériences et au fil des lignes je me dis  » J’aurais pu l’écrire à sa place. Et mon article aurait été bien plus long… »
Son histoire, c’est également la mienne.

Une fois l’article terminé, je ferme le journal et me mets au lit, je veux profiter de la sieste des enfants pour me reposer moi aussi.
Mon mari est déjà au lit. Lorsque j’arrive, il m’ouvre grand les bras et je vais me blottir au creux de son épaule.
Au bout de 10mn sa respiration se fait plus régulière, il s’est endormi.
Moi, je n’y arrive pas. Je pense encore et encore à cet article, aux témoignages sur internet, aux émissions, aux fameux hashtag #balancetonporc#respectmoncorps.

Et puis je me replonge dans mes souvenirs d’enfance. Je passe en revue un après l’autre les harcèlements, les attouchements, les agressions auxquelles j’ai dû faire face étant plus jeune.
Je compte : 1…2…3…5…7…10…13…15 et enfin 16.
16.
16 fois où un homme m’a harcelée, m’a menacée ou m’a agressée.

100% des femmes sont victimes d’harcèlement ou d’agression au moins une fois dans leur vie dans les transports publics.
1 enfant sur 6 est victime de violences sexuelle durant son enfance.
Les chiffres parlent d’eux même. Et sont effarants.
Il est important de dénoncer, il est important de parler, mais plus que tout: Il est indispensable de préserver nos enfants en discutant avec eux. En leur parlant des interdits, en leur expliquant ce qui est acceptable et ce qui est interdit. En leur posant des questions, en les incitant à se confier.
Nous avons un devoir de prévention envers la nouvelle génération afin qu’elle soit plus instruite et plus forte face à la violence.

Noam a 5 ans, il a reçu un livre qui s’appelle  » Mon corps m’appartient » pour la fête de Hanouka. Il explique avec des mots d’enfant et une petite histoire qu’il est maître de son corps et qu’il a le droit de mettre une limite là où il ressent un malaise. Qu’il doit se faire confiance et écouter ses émotions, son ressenti, son intuition.
Je lui dis que ses parties intimes n’appartiennent qu’à lui. Que personne n’a le droit de les voir ni de les toucher s’il ne le souhaite pas. Je lui explique comment réagir s’il se retrouve dans une situation qui lui fait peur ou qu’il ne comprend pas.
C’est l’éducation préventive. Celle là même qui manque si cruellement.
Pour que ce qui m’est arrivé ne lui arrive jamais à lui, ni à sa sœur. Qu’il sache quels sont les interdits imposés aux adultes. Qu’un adulte n’est pas tout puissant.

Pour moi, ma première fois fut à 8 ans. J’étais au ski.
Mon moniteur est entré dans les toilettes des filles alors que j’étais seule et m’a posé des questions déplacées, ambiguës. J’étais tétanisée, je n’arrivais pas à bouger, ni à parler.
Je n’avais que 8 ans, mais ce jour la, j’ai compris que l’adulte pouvait être menaçant, dangereux.

Et puis j’ai décidé d’écrire.
Alors à la sortie de Chabbat, je suis allée chez ma mère pour trouver une photo de moi à 8 ans pour l’illustration de mon prochain article.
 »Quel article ? » m’a-t-elle demandé en me conduisant vers les albums photos.
 »Je vais parler du harcèlement, et d’agressions sexuelles envers les femmes. J’ai besoin d’une photo de moi à 8 ans au ski.  »
Son visage s’est décomposé. On s’est assis par terre, près d ela pile d’albums et pour la première fois, j’ai raconté…
Pas tout, mais une grande partie. On a pleuré, on a mangé des chips, on a parlé du manque de connaissance et de savoir faire des parents de sa génération, du silence des enfants, de l’éducation préventive manquante.
Je suis rentrée chez moi mes photos en mains, vidée.
J’ai plus la force d’écrire.
Je pense que cet article va être rédigé en plusieures étapes, je publierai a chaque fois 2 ou 3 expériences. Mais pas tout d’un coup.
Sinon je risque de perdre pied et de ne le sortir que l’année prochaine.

J’écrirai pour libérer la parole. La mienne… Peut-être la vôtre.
J’écrirai parce que j’ai besoin de m’exprimer et que le sujet est important.
J’écrirai parce que le sujet est encore tabou, et que les tabous c’est mon créneau.
J’écrirai, parce que je n’ai pas honte. Parce que comme toutes les autres, je suis victime, et non coupable, comme la  »culture du viol » essaie de nous faire croire.
J’écrirai pour que certaines puissent s’identifier, et puiser de la force dans mon récit.
Et puis j’écrirai sur l’éducation préventive, comment parler d’un sujet si délicat avec nos enfants.

J’appréhende… Mais j’écrirai.

J‘AI 8 ANS, ET JE SUIS EN VACANCES A CHAMONIX.

Comme chaque année, je vais passer mes vacances d’hiver à la montagne dans le chalet de mes grands-parents.
Ils possèdent un très grand chalet sur 3 étages, tout en haut d’une montagne, en pleine nature.
J’ai toujours aimé les chalets, le bois, l’odeur du feu qui crépite dans la cheminée, les grandes baies vitrées du salon qui offrent un panorama féerique sur les montagnes enneigées.

Cette année ma grand-mère m’a acheté une nouvelle combinaison, toute rouge. Je n’aime pas le rouge, c’est une couleur trop voyante et je n’aime pas me faire remarquer. J’aurai préféré du bleu marine ou du gris. Mais ce n’est pas grave, elle est neuve, et je la remercie.
Je me sens un peux comme dans un conte pour enfants.
J’ai beaucoup de chance de pouvoir profiter des plaisirs des sports d’hiver avec mes frères et sœurs.

Ma grand mère m’a inscrite à un court de ski, on est une dizaine d’enfants à passer notre 3em étoile.
Chaque matin je me lève toute excitée en pensant à la journée qui m’attend.
Au bout de 2h de ski, mes jambes me brûlent, mes lèvres sont sèches, et mon visage est gelé. Nos joues sont tellement congelées qu’on arrive à peine à formuler correctement nos phrases. On s’amuse donc à deviner ce que l’autre tente de nous dire. C’est très drôle. On s’amuse bien.
Après les cours, on rentre au chalet. On creuse des tunnels sous la neige avec mon grand frère, puis on regarde  »Mary poppins » ou   »Ninjas kids » affalés sur le canapé. Dehors, des flocons de neige tombent et recouvrent le chalet d’un nouveau manteau de neige. Puis le soir, parfois, ma grand-mère nous prépare une fondue. J’adore ca, je suis friande de fromage.

Aujourd’hui, c’est mon dernier jour de ski. Demain, je rentre à la maison, puis l’école reprendra.
Cette année, j’ai eu un prof de ski très gentil. Il était prévenant et serviable. Il stoppait le groupe entier lorsqu’il voyait que j’avais du mal à suivre. Il doit avoir 35 ans. À peu près. Il a un sourire charmant, et plaisante beaucoup avec nous.

Une fois le cour est terminé, je dis que j’ai besoin d’aller aux toilettes et je laisse le reste du groupe attendre leurs parents à la sortie des pistes de ski.
Je cherche les toilettes des dames. J’entre, je suis seule, je me dirige vers celui du fond. J’aime bien les cabines du fond, c’est plus intime, plus tranquille.
Au bout de 2mn la porte des toilettes s’ouvre à nouveau, et j’entends une voix m’appeler :
 »Sarah? Tu es là? ».

C’est mon moniteur de ski.
Quest-ce qu’il fait dans les toilettes des filles ?
 Ce qu’il a à dire ne peut-il pas attendre que j’en sorte ?
J’hésite à répondre, on me dérange dans mon intimité.
Il réitère :  »Sarah? Tu es là? Tu fais quoi? »
Quelle question étrange…Et indiscrète… Suis-je vraiment censée lui répondre que je fais pipi ? En quoi cela peut-il bien l‘intéresser?
Je sens comme un malaise, je ne sais pas si je dois répondre ou pas…
Je finis par répondre  »Oui, je suis là ».

J’attends. Mon corps commence à se crisper. Il y a un homme dans les toilettes des dames. Avec une petite fille. Seuls.
La situation est anormale.
Je pri pour qu’il sorte, pour que la  »discussion » s’arrête là. Mais il continue.
 »Sarah, tu m’aimes ? ».
Mon sang se glace. Sa question me gêne, et je commence à avoir peur.
Peur de quoi ?
 Je ne sais pas, je sais juste que je ressens un sentiment d‘insécurité. Mon corps entier me crie de sortir de ces toilettes et de m’enfuir à toute jambe.
Oui, je l’aime bien. Il est gentil, drôle et a un joli sourire. Mais là, tout de suite, j’ai plutôt envie de lui répondre que non, je ne l’aime pas, parcequ’il m’inquiète et me met très mal à l’aise.
Mais je n’ose pas. J’ai peur qu’il ne s’énerve. Je ne le connais pas, je ne sais pas comment il peut réagir.
Alors je décide de lui dire ce qu’il veut entendre. J’ai du mal à articuler, ma mâchoire est comme bloquée.

Un  »oui », presque inaudible s’échappe de ma bouche.
J’imagine son sourire satisfait, et ça me dégoûte. Il a eu sa réponse, il va certainement partir maintenant, et me laisser tranquille.
Mais non, il surencheris:  »tu veux bien m’embrasser ? ».
Je n’arrive plus à bouger, je respire le plus silencieusement possible, j’ai peur qu’il entende mon souffle et ne comprenne dans quelle cabine je me trouve… et m’y rejoigne.
Les mots se coincent dans ma gorge. J’aimerais lui hurler qu’il est fou, qu’il n’a pas le droit de formuler une telle demande, et qu’il n’a pas le droit d’être avec moi aux toilettes. Mais aucun son ne sort.
Et si je lui que non, je ne veux pas l’embrasser, que va t-il se passer??

À ce moment là, j‘ai 8 ans. Je n’ai jamais entendu parler d’agression, d’attouchement, de viol. Ces mots sont totalement étrangers à mon vocabulaire.
Personne ne m’a jamais dit que parfois les adultes peuvent mal se comporter, que certaines situations ne sont pas normales.
 Que je dois écouter mon instinct, me faire confiance.
Que j’ai le droit d’appeler à l’aide si j’ai peur.
 Et que si je me trompe ce n’est pas grave.
Que je dois en parler, pour que l’intéressé soit puni.
 Parce que la loi punit les prédateurs.
Parce que c’est le nom que le dictionnaire donne à ce genre d’individu.

Je ne sais donc pas ce qu’il peut arriver. Mais mon corps, lui, le comprend. Et il me fait comprendre que je suis en danger.
Le moniteur attend ma réponse, m’appelle de nouveau. Mais je suis tétanisée, je ne sais pas quoi lui répondre.
Mon Coeur s’emballe, je ferme les yeux et prie pour que ce soit un mauvais rêve.
Peut-être que si je ferme les yeux très très fort, tout ça s’arrêtera et il partira aussi soudainement qu’il est arrive? Peut-être que si je continue à me taire, il finira par abandonner et fera demi-tour ?
Et puis soudain, un bruit de porte.
Une dame entre dans les toilettes. Je comprends que je suis sauvée, il n’a plus le choix de s’en aller. Et c’est ce qu’il fait.
J’enfile rapidement ma combinaison de ski rouge et je sors, l’esprit tout embrouillé.

J’ai 8 ans. Et ce jour là, pour la première fois, je me suis retrouvée face à un prédateur (pédophile?).
Ce jour là, il m’est rien arrivé… Mais ca aurait pu mal finir.

J’ai 8 ans, et je ne me doute pas encore que de nombreux autres prédateurs croiseront mon chemin… Et que le même scénario de terreur et de silence se reproduira.

Parce que personne ne me mettra jamais en garde, ni ne m’expliquera comment me défendre.

J’apprendrai donc la vie, l’homme, ses perversions et ses travers seule. Parce que pas alertée….

J’AI 11 ANS. ET POUR LA PREMIÈRE FOIS, JE PREND LE MÉTRO SEULE, COMME UNE GRANDE.

Cette année, ma maman a décidé de me changer d’école. L’école dans laquelle j’étais jusqu’à présent a un niveau scolaire médiocre, et elle veut absolument que j’étudie dans une bonne école.
Elle en a parlé avec ma voisine qui a une fille du même age que moi et un fils du même age que mon petit frère (9 ans).
Elles se sont dit qu’on formerait une bonne équipe à 4. Et que nous, les  »grandes » on pourrait veiller sur nos petits frères pendant les trajets.
J’aime beaucoup la fille de ma voisine, elle s’appelle Myriam, on est dans la même classe.
Elle vient presque tous les samedi après-midi à la maison, et on joue aux barbies durant de longues heures.
J’ai toute une collection de barbies différentes, et collection de robes à faire pâlir de jalousie toutes les filles de mon âge.
Je suis rassurée de savoir que l’on sera ensemble durant ces longs trajets en métro.
Je ne sais pas ce que c’est que le métro, je ne l’ai encore jamais pris de ma vie. Mais ça a l’air immense, et j’ai l’impression qu’il y a vraiment beaucoup de monde.

Je fais donc mon entrée en 6em le 2 septembre. Je me fais quelques copines, mais au bout de plusieurs mois je n’ai toujours pas réussi à m’habituer à cette nouvelle école. Le reglement est très stricte. On est observé à la loupe, et je me referme sur moi-même un peu plus chaque jour qui passe.
Mais j’essaie de tenir bon jusqu’à la fin de l’année. Ensuite, je parlerai avec ma mère, pour que l’on trouve une autre école.

Aujourd’hui est un jour ordinaire. Lorsque je me lève, je me dirige comme tous les matins vers mon armoire pour y sortir de quoi m’habiller. Je possède 3 longues jupes plissées qui ressemblent aux jupes des uniformes dans certaines écoles. Mais en plus moche.
Et puis j’ai le choix entre 5 chemisiers. Ils ont tous 2 ou 3 tailles de plus que la mienne et ont chacun d’eux un petit col Claudine avec des imprimés vieillots…
Lorsque je me regarde dans le miroir, j’ai l’impression de ressembler à une bonne sœur. En plus moche.
Je prends un élastique et me fais une queue-de-cheval. Et là, je suis encore plus moche qu’une bonne sœur moche.
Je me demande si je resterai toujours aussi moche, ou si en grandissant, je peux espérer embellir au moins un petit peu. Parce que là, franchement, le reflet que me renvoie le miroir est plutôt disgracieux.
Quand je serai plus grande, je me mettrai de l’eye-liner. Je trouve ça magnifique. Ça fait des yeux de biche et je pense que c’est très raffiné. Et puis je laisserai mes cheveux pousser et je les lâcherai. Comme ça, ils onduleront au gré du vent. Comme ceux des jolies filles que je croise dans la rue.

Mais je perds du temps à m’observer devant ce foutu miroir, je vais finir par rater le train !
Je dévale l’escalier 4 à 4. Maman m’annonce qu’aujourd’hui mon frère est malade et que les voisins ne vont pas à l’école. J’irai donc seule.
J’appréhende. Mais j’ai déjà fait le chemin un tas de fois, je le connais par cœur, et ça devrait donc bien se passer.

Il y a beaucoup de gens dans le métro ce matin, je pense qu’il y a grève, ça doit être pour ça.
Dans les couloirs, les gens se bousculent. J’ai peur d’être emportée par la foule, je longe donc les murs, ça me rassure.
Le métro arrive, il est bomdé. Je ne sais pas si je vais réussir à entrer. Mais je n’ai pas le choix, sinon je vais être en retard à l’école.
Je me faufile entre les adultes et réussis à me frayer un passage jusqu’au milieu du wagon.
Les gens continuent à entrer. Il n’y a plus de place, mais ils persistent tout de même.

Je suis poussée violemment vers le fond, et me retrouve coincée entre plusieurs personnes.
Ils sont grands et ils m’étouffent. Je n’arrive pas à voir ce qu’il se passe, et je peine à respirer.
Le train démarre. Je me dis que je déteste prendre le métro en période de grève. Et que les adultes sont fous.
À un moment donné je sens un mouvement sur le haut de ma jambe. Certainement le bras d’une personne coincée comme moi. On est tellement serrés… On se croirait dans une boite de sardine.
Mais la main bouge… Lentement. Et puis soudain, ça appuie sur mon entre-jambe.
Mon sang se glace. Qu’est-ce qu’il se passe ? Se peut -il que le propriétaire de la main ne se soit pas rendu compte que ses doigts appuient sur mes parties intimes ?
Je suis rouge pivoine. J’ai honte. J’espère que personne d’autre n’a vu.
Je tourne légèrement la tête, espérant lire l’innocence dans les yeux de l’inconnu. Preuve que tout cela n’est qu’une erreure.
L’homme a le regard figé, il regarde droit devant lui. Le regard n’est pas naturel, il est volontairement immobile. Je comprends qu’il sait parfaitement ce qu’il fait. Que son geste est délibéré.
J’ai peur, j’ai peur qu’il appuie encore plus. Que sa main aille plus loin.
Je tente de me tourner légèrement, un tout petit peu, juste suffisamment pour qu’il ne puisse plus accéder à cette partie privée de mon corps.
Mais c’est impossible, on est tellement comprimés que je ne peux pas me tourner. Pas même de quelques centimètres.
J’ai du mal à respirer, j’ai l’impression de suffoquer, je manque d’air.
Mon cœur bat à 1000 à l’heure dans ma poitrine. Je me dis qu’il bat tellement fort que l’homme va certainement l’entendre. Mais ne veux pas qu’il entendre ma terreur.
Je suis paniquée, je ne sais pas quoi faire. Je n’ose pas lui dire d’arrêter, j’ai peur qu’il ne me réponde que je suis folle, que je me fais des films, et que tous les regards se fixent sur moi.

Je reste le regard dans le vide et laisse mon esprit s’évader loin de ce corps dont je ne suis plus maître.

Je resterai ainsi durant 4 minutes. 4 longues minutes. Certainement les 4 minutes les plus longues de mon enfance.
4 minutes durant lesquelles une main étrangère s’est imposée dans mon intimité.

Aujourd’hui j’ai 11 ans. Et l’insouciance de mon enfance vient juste de disparaître en fumée.

Signé: Une mam sans complexes (ou presque…)