Si tu avais été là...

Lettres à ma maman

Maman,

Aujourd’hui est un jour particulier, jour de deuil pour le peuple juif, doublement deuil pour ta famille.
Aujourd’hui tu aurais fêté tes 61 ans… C’est dramatiquement poétique non ?
L’univers t’a repris à lui si jeune maman.

Il y a tout juste un an, nous fêtions tes 60 ans au petit restaurant que tu aimais tant, perché tout en haut de la falaise dominant la mer de Hedera.
Tu commençais à t’affaiblir, tu t’essoufflais rapidement, le cancer gagnait sournoisement tes poumons.
Nous devinions alors que ce serait ton dernier anniversaire parmi nous.
Tu étais belle maman, si belle… Divinement belle avec tes cheveux rasés à cause de la chimiothérapie et ton foulard enveloppant tes frêles épaules amaigries par les traitements.
Alors que tes cheveux tombaient, que ton corps s’affaiblissait, et que les traits de ton visage changeaient, je découvrais pour la première fois l’éclat et la délicatesse de tes traits bruts, fins, fragiles.
Nous avions tous pris la parole ce soir-là, te déclarant notre admiration pour ta force, ton courage, et ton optimisme sans faille.
Trinquant à ta santé. Santé esquintée, santé terrifiée, santé dévastée, santé oubliée… 

La maladie t’a sublimée, t’a révélée.
Alors que tu t’éteignais, quelque chose en toi se réveillait, rayonnait.
Je garderai toujours en souvenir le regard de papa sur toi ce soir-là, un regard humide et mélancolique, empreint de fierté et d’amour plus fort que jamais.
Vous étiez si beau l’un près de l’autre, si beaux l’un contre l’autre.
Tu fus lumineuse maman… dans ce petit restaurant, le soir de tes 60 ans.
Lumineuse, et tragiquement émouvante

Un mois après, Nathan et moi t’avions emmené voir le coucher du soleil, tu étais déjà si chétive, incapable de marcher. Nous t’avons porté jusqu’au sable et installée face à la mer. Tu as fermé les yeux pendant un long moment, laissant la brise caresser ton visage si doux, déformé par les nombreux traitements.
Ton sourire de bonheur m’avait ensuite accompagné tout le long du chemin de retour à la maison.
Ce fut ton dernier coucher de soleil sur terre.

Tu peux à présent les admirer de tout en haut. Dis-moi maman, comment sont-ils de l’autre côté du chemin ? Sont-ils majestueux ? Sont-ils aussi merveilleux que la brise magique qui accompagne chacun d’entre nous depuis que tu n’es plus là ?

Que de belles choses sont arrivés à chacun d’entre nous depuis ton départ maman.


Si seulement tu avais été encore là…

Si tu avais été là, tu aurais vu ton mari se prendre en main, lever le pied sur ses horaires de travail, se dégager du temps tous les jours pour faire du sport, prendre plaisir à manger sainement et s’alléger de 15 kg.

Tu aurais vu ton fils aîné, Meir,  nous annoncer qu’il attend un petit garçon pour janvier. Un petit mec après 2 petites filles, pour finir en beauté.
Et deux semaines plus tard, Eli renchérir avec l’annonce de l’attente de son premier enfant.

Tu aurais été si heureuse pour Tsylée qui vient d’emménager avec son amoureux, tu lui aurais dit que cet homme-là, elle le mérite bien, car c’est un homme, un vrai, un ‘’Munch’’ comme tu disais si bien!

Tu aurais été si enthousiaste à l’annonce de l’arrivée de Mike, le chien d’aveugle de Nathan qui deviendra un membre de la famille en novembre. Tu aurais été pleine d’espoir quant à cette nouvelle perspective de liberté et d’autonomie pour celui qui fut ton infirmier particulier cette dernière année.

Tu aurais été si fière de ta petite dernière, Léa, ta petite protégée avec qui tu avais un lien si particulier. Tu l’aurais vu continuer ses études de théâtre malgré la tristesse et la douleur; monter sur sa première scène en tant que chanteuse.
Tu l’aurais vu tout donner pour ce qui la fait vibrer, ce en quoi elle est si douée.
 Elle t’aurait appelé après chaque échec, chaque remise en question, chaque victoire ; et tu l’aurais contemplé avec fierté et mélancolie grandir, devenir une femme…

Et puis… et puis tu serais venue me rendre visite dans mon palais enchanté…
Parce que j’ai déménagé maman. Je vis maintenant dans cette maison dont j’ai tant rêve, dont nous avons tant parlés les derniers mois côtes à côtes dans ton lit…
Comme tu l’aurais aimé maman… Tu te serais esclaffé devant sa beauté et sa chaleur, tu t’y serais senti si bien.
Tu aurais assisté à la rentrée scolaire des enfants, à l’entrée au CP de Eliana, et tu aurais certainement versé une petite larme d’émotion avec nous.

J’ai accroché le tableau de l’artiste Naama que j’avais acheté en ton souvenir.
Ce tableau, je l’avais suivi pas à pas, alors qu’il n’était encore qu’un croquis. Et j’ai tout de suite su qu’il était pour moi.
Il nous représente si bien toutes les deux…
La nature que nous aimons tant, le vert qui se fond parfaitement bien dans le décor de notre nouvelle maison, et l’ambiance apaisante et chaleureuse qui s’en dégage.

Je ne savais pourquoi à chaque fois que mes yeux se posaient dessus, une vague d’émotion et d’amour me submergeait, jusqu’à ce que je découvre la signification de son nom : ‘’Celui qui migre’’.
Dans ce tableau, il y a sept oiseaux. Six d’un côté et un rouge-gorge de l’autre. Les six oiseaux sont des oiseaux qui passent leur vie en Israël, seul le rouge-gorge est un oiseau migrateur qui vient et va au rythme des saisons.
Ces six oiseaux représentent tes six enfants, et le rouge-gorge à l’écart, c’est toi maman. De côté, mais tout en restant proche.
Tu viens et vas parmi nous, puis tu repars vers ta nouvelle demeure.

C’est toi maman ce beau rouge gorge silencieux qui veille sur nous.

 

Si tu avais été la maman, nous nous serions promené dans mon jardin côtes à côtes, observant les plantes, faisant des remarques sur leurs tailles, leurs couleurs, leurs parfums. Tu  te serais amusé à donner des noms à tes plantes préférées. 
Tu aurais certainement voulu tailler les branches de mes arbres, et je t’aurais rétorqué ‘’pas touche ! Va plutôt tailler la jungle sur ta terrasse et laisse mes petits arbres tranquilles !’’.

Tu aurais admiré l’immense manguier de 50 ans d’âge, qui été mis en terre en ton honneur le jour de la fête des mères; et cette belle allée jonchée de lavande que tu aimais tant. Je t’en aurais cueilli un bouquet et je t’aurais raconté comme je chéris cette fleur, car elle me fait penser à toi.

Tu aurais vu Elyahou se découvrir une passion pour le jardinage, passion que vous auriez eu en commun.
Et tu m’aurais entendu le taquiner comme je l’avais fait plus jeune avec toi, vous reprochant gentiment de préférer vos plantes à votre famille.

Et nous nous serions assises toutes les deux sur les fauteuils, un café à la main, s’extasiant se tant de beauté et bonheur

J’aurais tant aimé que tu connaisses mon palais enchanté maman, il t’aurait tellement plu. J’aurai été si fière de te montrer l’œuvre de ma vie, l’aboutissement de tant de travail.
Tu aurais complimenté mon goût, et mon sens du détail, et j’aurais été fière d’être un maillon de cette famille d’artistes.

Le manque de toi est dur maman, on aime sa mère presque sans le savoir, et on ne s’aperçoit de toute la profondeur des racines de cet amour qu’au moment de la séparation dernière.
La mort d’une mère est le premier chagrin qu’on pleure sans elle…

Comme ce fut si souvent le cas au cours de ta vie, c’est autour de toi que nous nous réunissons tous aujourd’hui, Maman.
Ce soir, nous retournerons en famille dans ce petit restaurant rustique surplombant la mer pour fêter tes 61 ans.

Joyeux anniversaire maman chérie, continue à suivre le cheminement de chacune de nos vies, du haut de ton éternité.
Brille toujours plus fort et console nous de ta douce étreinte.
Tu nous as donné la vie en nous mettant au monde, avec ton départ, tu nous auras offert un second souffle, de nouveaux horizons, de nouveaux espoirs.

Merci pour la magie que tu laisses derrière toi maman.

Je t’aime tant. 

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  • 9 septembre 2021

    Ému jusqu’aux larmes. Il y a plus d’un an Marianne a insisté pour que nous allions tt les 2 déjeuner dans ce fameux restaurant.on a bu un bon vin et on a très bien mangé. Elle voulait tout l entrée le plat le dessert le vin. Moment inoubliable et j avait très bien compris pourquoi!!!
    Bizous

  • 9 septembre 2021

    Magnifique. Tellement magnifique ce que tu as écris. Il y a que des larmes qui coulent. C est tellement triste mais tellement vrai … j ai perdu ma mère il y a presque 2 ans et ce texte que tu as écris ressemble tellement à tous les sentiments que j ai ressenti et que je ressens encore. Bravo pour ton magnifique texte. Continue d écrire et bon courage pour tout….❤❤❤

  • 9 septembre 2021

    Un an ?!!!
    J’ai du mal à lire ton texte au conditionnel. Moi je crois qu’elle est là, dans tout ce que vous faites. Elle s’est juste planquée entre deux couches d’éther, comme ça elle a la paix. Elle a raison, le monde est fou ! Le quitter est une grace infinie et sa sortie à elle était royale.
    Je vous embrasse tous très fort.
    Je t’embrasse Malka. Passe-moi les anges quand tu auras deux minutes, j’ai des trucs à leur dire.

  • 9 septembre 2021

    Incroyable hommage à votre Maman. Les larmes coulent toutes seules .. Qu achem vous envoie la force de surmonter cette dure épreuve . Une maman c est un diamant , notre diamant qu il veut garder pour l éternité . Elle vous protège de la ou elle est et elle peut être fière de votre parcours . Avec tout mon respect Sarah ..

  • 12 septembre 2021

    À travers ces mots je retrouve celle que j’ai connue, délicieuse Malka ; parler d’elle c’est ausi continuer de la faire exister. Pour moi, elle est très présente, chaque jour, je prends modèle et j’ai encore beaucoup à faire. Je vous embrasse tous. Myriam Blache ecoute-psy.com

  • 12 septembre 2021
  • 30 octobre 2023

    Merci pour ce magnifique message que je découvre seulement maintenant … j’ai les larmes aux yeux en pensant à mon amie Malka… Je vous espère tous en sécurité… je vous embrasse affectueusement